Il est vain de chercher à retenir le progrès.
Nous coordonnons quotidiennement, l’organisation de nos journées, nos rendez-vous, nos déplacements, nos transferts d’argent en quelques clics sur une touche d’écran afin d’économiser un temps précieux cherchant ainsi à optimiser sans cesse à tout instant et en tout lieu. Les habitudes de consommation rendent les clients, les consommateurs, et donc le justiciable impatient et exigeant, nous voulons la bonne réponse au bon moment et sans effort : La règle est plus que jamais de satisfaire les usagers. Les changements touchent l’ensemble de la société et tous les acteurs de l’économie. 90% des personnes âgées entre 12 et 59 ans utilisent internet tous les jours[1]. En 2017, sur les 16.151 saisines du Médiateur de l’Assurance, 30% des saisines ont été faites via le formulaire de saisine en ligne[2].
Où en est la France dans le cadre de sa « révolution digitale » ? Elle pointe, à l’échelle de l’Europe, à la 19ème place du « Digital Scoreboard » selon le Digital Economy and Society Index (DESI) de la Commission Européenne[3], malgré la qualité du capital humain en France (Je pense à des écoles comme l’UTC Compiègne ou l’Epitech pour ne citer qu’elles).
Toutefois le nombre manque. L’enjeu humain de masse impliquera pour l’État d’investir massivement dans la formation.
« Rien ne se perd rien ne se créé tout se transforme »[4]
Michelin (près de 115.000 salariés – 170 nationalités) a amorcé il y a quelques années un virage consistant à ne plus vendre des produits, mais des services dans une offre à destination de la flotte poids lourds. Traditionnellement un fabricant de pneumatique vend ses pneus à des distributeurs qui les revendent à des transporteurs routiers qui les entretiennent plus ou moins bien.
Mi-2013, le groupe a proposé une offre de service[5] prenant en charge l’installation, l’entretien et le remplacement des pneus en utilisant des « patchs » (puces connectées) intégrées aux pneus afin de faciliter la maintenance préventive des pneumatiques. Outre l’augmentation de productivité des véhicules – un tiers des pannes de poids lourds en Europe est liée aux pneus – cela a permis de réduire la consommation de carburant. La réduction du nombre de pannes permettant ainsi de diminuer les retards (au bénéficie du destinataire), les pénalités (au bénéficie du transporteur) ainsi que les avaries en cas de transport de denrées périssables (réduisant ainsi le nombre de sinistre pour un assureur par exemple). L’outil technologique donne donc sans conteste la possibilité d’innover, ce qui ne peut être fait, en entreprise, qu’avec une volonté claire du top management (voir par exemple les chantiers mis en œuvre par Madame Isabelle Kocher chez ENGIE).
Dans le monde de l’assurance :
Au 3ème trimestre 2018, plus de 1,3 milliard d’euros ont été investis dans les assurtech [6] (les start-up du monde de l’assurance). Les assureurs mettent le client au centre de l’attention en cherchant à améliorer sans cesse la qualité du service fourni. Satisfaire l’utilisateur, l’assuré, passe par l’amélioration de la qualité perçue du service afin qu’il se sente plus « lié » à son assureur. En 2015 déjà, 64% des consommateurs indiquaient changer de fournisseurs en raison d’un service client qu’ils jugeaient insuffisant [7]. En 2017, un tiers[8] des motifs des litiges ayant donné lieu à la saisine de la Médiation de l’Assurance provenait d’un mauvais suivi de la réclamation, réel ou ressenti, par le professionnel de l’assurance. Les points de contact entre un assureur et son assuré sont pourtant souvent limités au moment de la souscription et – éventuellement en cas de survenance du sinistre – au moment de l’indemnisation de sorte qu’une attention particulière doit être accordée par le professionnel. La coopération avec le domaine des assurtech offre donc la perspective d’un service immédiat, plus fluide et personnalisé. C’est d’ailleurs un mouvement global et ce n’est finalement pas si récent. Il est par exemple possible, depuis 2011 au Kénya, pour les agriculteurs de souscrire une assurance contre les intempéries par SMS grâce au paiement mobile[9] (service « M-Pesa »), ce qui a permis de donner accès aux agriculteurs des petites communautés rurales aux services de compagnies d’assurances. En France, le 20 octobre 2016 (date de parution au JO), Alan a été le 1er assureur indépendant depuis 1986 à bénéficier d’un agrément de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) avec un pari pourtant pas évident : simplifier l’adhésion de salariés à une complémentaire santé, 100% en ligne, en moins de 5 minutes[10] ! Un grand nombre de start-ups ont aujourd’hui été recensées et elles se positionnent dans différentes catégories allant de la conception de produits assurantiels, à leur distribution, ou visant à faciliter l’opérationnel (gestion de la souscription, des contrats, des sinistres…)[11]. Plus récemment, on a pu également observer comment Luko, qui se positionne au départ sur le marché de l’assurance habitation, a pu commencer à proposer, depuis quelques mois, une assurance pour les trottinettes électriques. Cette réactivité qui s’adapte rapidement à un usage ne peut qu’être saluée. Il y a eu beaucoup de démarches ici et là visant à tester des produits, mais la question qui se pose est : Comment faire passer de tels outils à l’échelle industrielle ? Afin d’appréhender les effets de volume, il est toujours intéressant de regarder quelques initiatives prises en Inde ou en Chine non pas qu’il s’agisse de modèle, mais pour essayer de comprendre comment les effets de masse sont traités. En 2017, 495 millions de chinois utilisaient la même application de messagerie instantanée « WeChat » qui a désormais dépassé – selon les derniers chiffres de mars 2018 [12] – le milliard d’utilisateurs dans le monde. L’utilisation massive a fait de WeChat une réelle plateforme d’infrastructure puisque l’application est à la fois une messagerie mobile, un réseau social, un canal d’informations et de contenus, une plateforme de vente en ligne et un système de paiement électronique (elle permet de payer ses impôts). L’empire du Milieu et ses champions, les BATX (Baidu [le Google chinois], Alibaba, Tencent et Xiaomi) – armés de leur arsenal numérique, de données, de talents et de capitaux – prennent donc eux aussi comme point de départ l’expérience utilisateur dans une démarche bien souvent omnicanal. Comment mettre le justiciable au centre de la réflexion, lorsque contraint, il doit affronter les affres d’un contentieux judiciaire ?
Et le contentieux judiciaire ?
Selon le Ministère de la Justice, 95% des Français jugent la justice trop lente[13]. Le non-traitement des demandes en justice dans un délai raisonnable est la 1ère cause de condamnation de la France devant la CEDH [14] sur les statistiques tenues depuis 1959…(283 condamnations en 58 ans, soit ≈ 5 condamnations par an). Le rapport remis au Garde des Sceaux le 24 mai 2008 – il y plus de 10 ans – par Monsieur Jean-Claude Magendie, alors 1er Président de la Cour d’appel de PARIS, était intitulé « Célérité et qualité de la justice devant la Cour d’appel »[15]. Sans tomber dans une logique de gestion, il faut améliorer l’efficacité opérationnelle et regagner la confiance des usagers et regagner la confiance c’est se mettre au niveau technologique des autres industries. Sans réinventer la roue ni sacrifier la proximité et l’humain, est-ce possible de faire simple et efficace ? Dans le contentieux judiciaire, la communication électronique par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA) a permis de gagner un temps précieux pour les avocats et les Tribunaux. Pour la signification des conclusions au fond devant le Tribunal de Grande Instance (TGI), plutôt que de courir (aller-retour au Tribunal + temps de l’audience avec appels des affaires) signifier ses conclusions « papier » en personne à une audience de mise en état, n’est-il pas plus rapide et pratique d’envoyer un simple mail avec sa clé RPVA ? Autre exemple, la recherche des disponibilités des parties par un expert judiciaire lorsqu’il fixe un rendez-vous ne pourrait-elle pas, en 2018, être optimisée ? [16] Les chantiers sur les demandes d’aide juridictionnelle en ligne[17] visant à faciliter l’accès et à raccourcir les délais de traitement des dossiers désencombreront, à n’en pas douter, les bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) au sein des juridictions, ce qui libérera un temps précieux aux greffiers et personnels des Tribunaux. Tout le monde n’a toutefois pas accès à internet et toute démarche visant à améliorer la qualité du service public de la justice et l’accès au droit doit en tenir compte. Un lien humain doit rester accessible pour ceux qui le souhaitent dans la mesure où d’une part, tout le monde n’a pas encore en France, un accès internet à haut débit[18], et d’autre part un nombre important de personnes ne se servent pas d’internet qui peut constituer – paradoxalement – un obstacle dans la pratique et la manipulation de ces nouveaux outils. Selon le baromètre du numérique 2017 édité par l’Arcep (agence de régulation des télécoms) et le Crédoc, il s’agissait de 13 millions de personnes soit près d’un français sur cinq[19]. Pour preuve et dans un autre domaine, celui de la banque, on a vu, ces dernières années, certaines grandes enseignes ralentir le rythme de fermeture des agences bancaires en France du fait justement de la prise de conscience de la nécessité de garder ce « lien humain » entre le client et le conseiller financier. L’équilibre semble difficile à trouver, mais l’outil technologique permettra d’améliorer les conditions de travail des magistrats, des greffiers et des auxiliaires de justice afin que cela puisse bénéficier in fine à l’accès au droit pour le justiciable ou l’entrepreneur. La solution ne peut se résumer à une justice en dehors des juridictions étatiques ou en l’absence de conseil. Lorsqu’une compagnie d’assurance-vie japonaise se sépare de 34 salariés suite à la mise en œuvre d’une automatisation des tâches (Robot Process Automation chez Fukoku Life Insurance Company[20] en 2017), l’on peut comprendre les craintes que font planer sur les emplois les nouveaux usages de l’informatique et de l’internet. Les auxiliaires de justice bénéficient d’avantages pour innover dans la mesure où ils sont quotidiennement au contact des juridictions, mais également en relation directe avec leurs clients de sorte qu’ils peuvent identifier leurs besoins et leurs préférences. Ils sont par ailleurs en relation directe avec leurs concurrents, les autres avocats, chez qui ils peuvent identifier les facteurs de succès ou d’échec. Lors de la révolution industrielle, le choix a été fait d’accroître la production comme jamais dans l’histoire de l’humanité. L’énergie à vapeur, l’électricité et les machines permettaient de se rendre compte visuellement des changements qui allaient être opérés, ce qui n’est pas le cas avec le digital – presque invisible – et dont il est difficile de percevoir l’importance. La technologie n’est qu’on outil mis à la disposition des Hommes qui définissent la stratégie ou l’emploi, ce qui peut et doit donner lieu à débat. Les discussions sur l’aspect éthique de la conception et de l’utilisation des robots par les humains ne sont pas nouvelles[21], et elles vont venir de plus en plus sur le devant de la scène[22]. Accepter la modernité ne signifie pas oublier les origines d’une profession. Plus les machines seront présentes plus il y aura besoin de discernement humain à une époque où la créativité et l’intelligence émotionnelle feront partie des qualités du décideur de demain[23]. [1] https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/numerique/le-barometre-du-numerique.html [2] http://www.mediation-assurance.org/medias/mediation-assurance/Rapport_annuel_2017_LMA.pdf, page 76 [3] https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/desi [4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Lavoisier [5] https://www.michelintruck.com/services-and-programs/michelin-fleet-solutions/ [6] https://www.argusdelassurance.com/tech/insurtech-forte-hausse-des-levees-de-fonds.139344 [7] https://www.slideshare.net/accenture/accenture-global-consumer-pulse-research [8] http://www.mediation-assurance.org/medias/mediation-assurance/Rapport_annuel_2017_LMA.pdf, page 81 [9] https://www.gsma.com/publicpolicy/wp-content/uploads/2012/03/mobiletelephoneandtaxationcompletereportfrench.pdf [10] https://alan.eu/ [11]https://www.oliverwyman.com/content/dam/oliver-wyman/v2/publications/2018/october/Etat-des-Lieux-et-devenir-des-Assurtechs-en-France.PDF [12] https://www.challenges.fr/high-tech/la-messagerie-wechat-depasse-le-milliard-de-comptes-d-utilisateurs_571729 [13] http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_infostat125_20140122.pdf [14] Rapport annuel 2017 de la Cour européenne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, page 184, https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=court/annualreports&c=fre, [15] http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_rapport_magendie_20080625.pdf [16] https://doodle.com/fr/ ? [17] http://www.consortium-ejustice.org/2018/07/18/aj-connect-demande-daide-juridictionnelle-en-ligne/ [18] http://www.francethd.fr/ressources/documentation.html et http://www.journaldunet.com/web-tech/chiffres-internet/france/pays-fra/internet-haut-debit [19] https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/illectronisme-l-etat-prevoit-jusqu-a-100-millions-d-euros-pour-former-13-millions-de-francais-790164.html [20] The Guardian, “Japanese company replaces office workers with artificial intelligence,” Justin McCurry, January 5, 2017, https://www.theguardian.com/technology/2017/jan/05/japanese-company-replaces-office-workers-artificial-intelligence-ai-fukoku-mutual-life-insurance et https://www.capgemini.com/2018/08/life-insurers-look-to-rpa-and-ai-for-core-processes/# [21] Voir les travaux sur la Robotéthique de Veruggio, Gianmarco, The Roboethics Roadmap, Scuola di Robotica, 2007 [22] https://futureoflife.org/ [23]https://www.weforum.org/agenda/2016/01/the-10-skills-you-need-to-thrive-in-the-fourth-industrial-revolution/